La sculpture, pour moi, est avant tout une rencontre intime avec la matière. Le mot même, « sculpere », qui vient du latin et signifie « tailler » ou « retirer des morceaux à une pierre », résonne profondément en moi. Il me rappelle que, contrairement à d’autres formes d’art comme le modelage, où la matière est ajoutée et façonnée, en sculpture, nous avons à enlever, à déstructurer pour faire émerger ce qui est caché dans la pierre. Cette déconstruction, loin d’être une destruction, est pour moi une révélation.
Lorsque je me tiens devant un bloc de pierre, je ne vois pas une masse inerte. Je perçois un volume brut, un terrain vierge, un espace de potentialité infini. C’est là que commence le véritable voyage, un voyage qui passe par l’intuition et la projection. La pierre m’appelle, et chaque geste, chaque coup de ciseau, est une étape vers la naissance de l’œuvre. Il ne s’agit pas simplement d’enlever de la matière, mais de comprendre la forme qui est déjà présente, cachée dans la pierre. C’est un processus de création qui repose sur une vision précise, un équilibre entre le geste et la pensée, entre ce qui doit être enlevé et ce qui doit être préservé.
La sculpture sur pierre ne tolère pas l’erreur, et c’est peut-être cela qui m’attire le plus. Une fois que la matière est enlevée, il n’y a pas de retour en arrière. Il n’y a pas de possibilité de réparer une erreur comme dans d’autres arts où l’on peut ajouter, corriger, modifier. Cette notion de non-retour me confronte à la réalité de l’acte créatif dans sa forme la plus pure. La pierre devient mon partenaire de travail, et à chaque instant, je me retrouve à choisir avec soin ce que je vais retirer, en sachant que chaque geste a des conséquences irréversibles. C’est à la fois un défi et une liberté : la possibilité de créer quelque chose de véritablement unique, sans possibilité de réécriture.
La sculpture, pour moi, n’est pas simplement un travail manuel. C’est une quête profonde de sens, un dialogue entre l’artiste et la matière. La pierre, une fois touchée par la main du sculpteur, se transforme. Elle n’est plus un bloc inerte, mais une œuvre vivante, pleine de sens. En enlevant, l’artiste donne forme à ce qui était invisible, fait émerger une part de son âme à travers la matière. C’est un acte de pure création, qui va au-delà du geste technique, un acte qui, pour moi, incarne la rencontre ultime entre l’homme et la matière. Quand je taille la pierre, je ne fais pas qu’enlever de la matière, je révèle une forme, une idée, un message qui, sans moi, serait resté enfoui à jamais. C’est là toute la magie de la sculpture.
Yannick Robert